JS Richard décrit la différence entre l’activisme et l’organisation, en soutenant que l’activisme est politiquement inefficace et devrait être abandonné pour une approche d’organisation. Il s’agit d’un sujet plus éloigné que nos articles habituels sur l’organisation sur le lieu de travail, mais il est pertinent pour les débats au sein de l’IWW sur les types d’activités que le syndicat devrait entreprendre. -Ed.
L’activisme est devenu la principale approche politique de la gauche radicale en Amérique du Nord. Il a été utilisé sans grande considération de sa validité stratégique pendant au moins 30 ans, et les résultats qu’il a permis d’obtenir sont minces. Plusieurs éléments condamnent le militantisme à la stérilité politique. Une approche « organisatrice » de l’activité politique serait bien plus efficace.
Qu’est-ce que l’activisme ?
L’activisme peut être identifié comme une activité politique qui met en place des actions et des déclarations à court terme sur diverses causes et problèmes sociaux. Il passe d’une question à l’autre, une fois qu’une expression suffisante de désaccord a été exprimée. Il se fonde sur une opposition de principe abstraite plutôt que sur une tentative d’obtenir des concessions concrètes de la part des personnes au pouvoir, qu’il s’agisse de patrons, de fonctionnaires de l’État, de propriétaires, etc. L’activisme est généralement dispersé sur le plan politique, réactif et non ciblé. Par exemple, Google s’installe dans une ville et pousse le gouvernement local à détruire les logements les moins chers pour faire de la place aux condos de luxe ; les activistes répondent en se parachutant, en tant que militant·es, dans le quartier, en affichant et en distribuant des tracts pendant un moment, en organisant une ou deux manifestations… puis passent à autre chose lorsqu’un policier tire dans le dos d’un adolescent, laissant tomber l' »ancien » problème pour le nouveau, et ainsi de suite.
Il existe, bien sûr, des organisations qui se battent sur ces questions de manière soutenue et significative. Ces questions ne sont pas en cause. Le fait est que l’activisme est souvent, voire toujours, futile pour résoudre les problèmes sociaux.
Les activistes sont généralement lié·es non pas par des intérêts économiques ou sociaux communs, mais par des affinités politiques ou sous-culturelles. Dans chaque lutte qu’ils/elles entreprennent, ils/elles se substituent (la minorité agissante, les militant·es, les illuminé·es politiques) au véritable sujet de la lutte (les locataires, les travailleur·euses, la communauté noire), c’est-à-dire la base. Même si l’adhésion des groupes militants est formellement ouverte, ils se développent rarement car chaque action à laquelle ils participent a une base différente. L’activisme manque également d’objectifs à long terme pour chaque lutte. Pour l’activiste, comme le dit Ta-Nehisi Coates, « la résistance [est] sa propre récompense ». Il n’est pas nécessaire d’évaluer les résultats par rapport aux objectifs puisque l’action entreprise est, en soi, le but.
Qu’est-ce que l’organisation ?
L’organisation, en revanche, implique généralement des personnes de l’extérieur et de l’intérieur de la base qui s’attaquent à un problème social ou économique concret. De l’extérieur, il s’agira de quelques organisateur/trices ou militant·es expérimenté·es, et de l’intérieur, des personnes dont les conditions matérielles sont affectées par le problème. L’organisation a des objectifs clairs à long terme visant à obtenir des gains pour la base auprès des patrons, des propriétaires ou des autorités. Idéalement, elle dispose également de mécanismes de retour d’information permettant d’évaluer l’efficacité des moyens mis en œuvre, en ce qui concerne les résultats obtenus et leur rapport avec les objectifs à long terme. Il s’agit alors d’une boucle de rétroaction autocorrectrice dans laquelle les participant·es peuvent évaluer les actions qu’ils/elles ont entreprises jusqu’à présent pour atteindre leur(s) objectif(s), et déterminer si les efforts en valaient la peine ou s’ils devaient être modifiés. Les tactiques peuvent être progressivement intensifiées vers un objectif constant.
Par exemple, une association de locataires de Montréal qui était en lutte avec un propriétaire pour la réparation de logements utilisait initialement les médias pour faire pression sur lui par le biais de conférences de presse et de communiqués de presse. Après quelques mois, cette stratégie n’a pas donné beaucoup de résultats. Lors de l’assemblée générale des locataires, il a été suggéré de remplacer cette approche par des manifestations dans les immeubles commerciaux que le propriétaire possédait également. Cela a corrigé deux choses : premièrement, le propriétaire se souciait davantage de ses locataires commerciaux que de l’opinion du grand public ; deuxièmement, alors que la plupart du travail de presse était effectué par des organisateur/trices extérieur·es, les démonstrations incluaient la base (les locataires).
Ce que l’organisation peut faire que l’activisme ne peut pas faire
Les organisations ont le potentiel de construire des entités de lutte durables pour la base, et de s’étendre à d’autres personnes ayant des conditions matérielles similaires. Reprenons l’exemple de l’association de locataires : bien qu’elle ait été initialement créée pour lutter contre un propriétaire spécifique, elle peut éventuellement aider les locataires qui louent à un autre propriétaire, en fournissant des personnes et une expérience de leur lutte pour aider ces autres locataires à s’organiser. Cela pourrait déboucher sur une organisation de locataires à l’échelle de la ville, capable de faire pression sur le gouvernement, que ce soit au niveau municipal ou au-delà, pour obtenir des avancées en termes de lois sur l’assainissement et d’augmentation du nombre de logements abordables dans la ville. Une fois que ces organisations plus permanentes prennent leur envol, elles ont également l’avantage de ne pas dépendre de la disponibilité de militant·es actif/ves spécifiques pour perdurer dans le temps. Elles restent des structures permanentes à partir desquelles les gens peuvent se battre, quels que soient les militant·es et les membres initiaux.
L’organisation et l’activisme impliquent tous deux la participation de militant·es extérieur·es. Cependant, les activistes ne créent pas de liens avec la base. La principale difficulté de l’approche d’organisation, pour les activistes, est qu’elle nécessite une interaction avec des personnes avec lesquelles ils/elles ne sont pas déjà d’accord sur des principes plus larges tels que le système économique ou le point de vue politique. Le processus de prise de décision est également plus compliqué avec une base plus large de personnes venant d’horizons différents. Il nécessite une délibération, contrairement aux groupes d’affinité où une position commune peut être considérée comme acquise. Il faut également établir une véritable confiance et des liens avant que les gens ne soient prêts à agir d’une manière qui mette en jeu leur emploi ou leur logement. Enfin, il faut plus de temps pour obtenir des résultats, car les objectifs sont généralement plus concrets et plus significatifs que la simple expression d’une opposition.
Pourquoi l’activisme est-il resté si populaire ?
Au vu de tous ses défauts, on peut se demander pourquoi l’activisme est si présent dans les cercles de la gauche radicale. Le capitalisme tardif nous a atomisés et encourage une étrange éthique de l’auto-marquage. Les groupes d’affinité donnent simultanément à leurs membres un sentiment d’appartenance et un sentiment d’exclusivité. D’où la prolifération continuelle de nouveaux jargons, utilisés comme des shibboleths pour identifier l’appartenance à « la scène ». De même, la violence est plus souvent utilisée par les activistes (par rapport aux organisations), car ils veulent se considérer comme radicaux. L’activisme est plus une politique de performance qu’une amélioration de la vie des gens.
Malgré le radicalisme supposé de l’activisme, les actions militantes ont généralement des enjeux moins importants que l’organisation proprement dite. Se montrer pour quelques actions spectaculaires est moins risqué que de s’engager avec son patron au travail d’une manière qui peut potentiellement mettre en danger son gagne-pain. L’activisme est souvent plus sûr et plus facile que l’organisation proprement dite.
Un autre élément de l’attrait de l’activisme est la nature spectaculaire des actions. Comme l’a décrit Guy Debord, le « spectacle » est l’image de la réalité que nous finissons par percevoir comme la réalité. Le fait de s’opposer avec force à tel ou tel problème donne donc l’impression d’avoir fait quelque chose pour y remédier. Les médias sociaux accentuent encore ce phénomène : pour s’opposer au sexisme systématique de notre société, il suffit, par exemple, de participer au mobbing en ligne d’une personne qui a exprimé quelque chose de sexiste, pour la faire licencier. Non seulement cela ne fait pas grand-chose pour lutter contre le sexisme en général, ou tout autre problème, mais cela augmente également le pouvoir de son patron et des patrons en général, qui ont désormais plus de poids pour licencier des travailleur·euses pour ce qu’ils ou elles disent et font en dehors du travail. De cette manière, l’activisme est souvent plus lié à l’idée que le militant se fait de sa propre justice qu’à la confrontation collective des problèmes sociaux.
Conclusion
L’activité politique révolutionnaire doit être orientée vers le changement social. L’activisme, en tant que praxis, n’a pas réussi à atteindre cet objectif. Si nous voulons renverser le règne désormais misanthrope, et probablement génocidaire, du capitalisme mondial, nous devons nous tourner vers l’organisation collective. Cela implique la construction de structures de pouvoir autour de luttes matérielles, qui peuvent durer et se développer dans le temps pour produire des changements tangibles pour la base.
Traduit de l’anglais par IWW Bruxelles
Article original sur organizing.work ici