Astuces et conseils sur la manière d’organiser et de mener efficacement une action de grève sur votre lieu de travail. Notre travail est l’arme ultime que possèdent les travailleur·euses. Sans les travailleur·euses, les patrons ne peuvent pas faire de profits. La grève peut être très puissante, mais en même temps, elle réduit au minimum le salaire net. Plus inquiétant, elle peut également conduire au licenciement. Il n’est donc pas surprenant que la grève soit généralement le dernier recours des travailleur·euses.
Or, dans la plupart des pays occidentaux, la grande majorité des travailleur·euses n’ont que très peu d’expérience de l’organisation ou de la grève. Voici quelques conseils si vous êtes contraint de mener une telle action et/ou si vous êtes mis en lock-out par la direction.
Si la grève est parfois nécessaire, les actions sur le lieu de travail, telles que les grèves de bon travail, les arrêts de travail ou le travail à la chaîne, peuvent être plus efficaces.
Impliquer tout le monde
Il est essentiel que toutes les personnes en grève soient directement impliquées dans les activités, que ce soit sous la forme de piquets de grève, de collecte d’argent, de conférences ou de tournées, de prise de contacts, d’interventions lors de réunions, etc. Ces activités ne doivent pas être réservées aux comités de grève ou aux membres les plus expérimenté·es. En faisant participer tout le monde, on peut éviter l’ennui, l’isolement et la démoralisation. Chaque gréviste doit être encouragé·e à participer, car cela donne un but à la grève et aide les grévistes à prendre conscience de leur appartenance au groupe. La manière la plus efficace et la plus inspirante d’impliquer tou·tes les grévistes est d’organiser régulièrement des piquets de grève de masse.
La démocratie directe
Tou·tes les grévistes doivent participer à la gestion démocratique du conflit en étant présent·es au quotidien. La rotation des tâches doit permettre à chaque gréviste d’acquérir de l’expérience en matière d’organisation. Autant de décisions que possible doivent être prises (et être perçues comme telles) lorsque tou·tes les grévistes sont présent·es. Si une liste des compétences spécifiques des personnes est établie au début du conflit, cela peut donner aux grévistes un point de départ pour s’organiser.
Voici quelques suggestions de compétences et de tâches pour faire fonctionner les choses pour vous – elles ne s’appliquent peut-être pas toutes à votre situation, mais tous les points de cette liste doivent être pris en compte :
– Être présent·e au/Faire un piquet de grève
– Visiter les lieux de travail, les centres communautaires et les réunions syndicales pour prendre la parole et collecter des fonds.
– Préparer des résolutions pour les réunions d’autres sections syndicales.
– Organiser des pétitions et des groupes de collecte de fonds à l’extérieur des supermarchés, sur les lieux de travail, etc.
– Trésorier·e·s chargé·e·s de superviser toutes les entrées et sorties d’argent.
– Produire des affiches, des dépliants et autres publicités.
– Une équipe de recherche chargée d’enquêter sur les finances de l’entreprise, de dresser une liste de contacts politiques dans d’autres sections syndicales, d’autres syndicats, sur les lieux de travail, etc.
– Un·e coordinateur·trice de presse pour publier des déclarations à la presse (y compris la presse de gauche).
– Un·e responsable de l’assistance sociale chargé·e de s’occuper des difficultés personnelles des grévistes et de suggérer des formes d’assistance, notamment financière, mais aussi juridique en cas d’arrestation et/ou d’inculpation.
– Un groupe de divertissement – pour organiser des soirées de collecte de fonds. Ces soirées peuvent contribuer à attirer d’autres travailleur·euses et à montrer aux familles et aux ami·es des grévistes qu’ils/elles sont également considéré·es comme faisant partie de la lutte.
– Rédacteur·trices de bulletins – un bulletin de grève régulier (quotidien si possible) est nécessaire pour informer les gens de ce qui se passe. Cela permet d’éviter les rumeurs et de maintenir la cohésion de la grève. Le bulletin doit encourager les contributions du plus grand nombre de grévistes possible. Il peut être rédigé et produit très rapidement à l’aide d’un équipement de publication assistée par ordinateur, s’il est disponible.
– Conseiller·e juridique – en particulier lorsque des personnes ont été arrêtées et sont en attente de jugement, cette personne peut aider les avocats à obtenir des déclarations. Elle peut également essayer d’obtenir la présence d’observateur·trices juridiques aux piquets de grève – ceux/celles-ci peuvent contribuer à faire pression sur la police pour qu’elle se comporte correctement.
– La manière la plus efficace de garantir le contrôle démocratique direct de tout conflit/action de grève par les travailleur·euses directement impliqué·es est d’organiser des réunions de masse hebdomadaires (ou plus fréquentes). Celles-ci devraient être utilisées pour discuter et décider démocratiquement de la conduite du conflit et pour élire des personnes chargées de le gérer au nom des grévistes entre les réunions de grève/de conflit.
– Un comité de grève (ou un groupe d’action, ou tout autre nom choisi) devrait être élu par une réunion de masse et ensuite responsable devant, et remplaçable par, une autre réunion de masse, si les grévistes le décident. Ce groupe coordonnera le travail quotidien découlant des décisions prises lors des réunions de masse. Tous les postes ou comités doivent également être élus démocratiquement de cette manière – il ne doit pas y avoir de nominations. Le comité de grève doit comprendre un secrétaire (qui rédige les procès-verbaux et coordonne le travail en cours), un trésorier et un président (pour les réunions).
L’argent
Si une grève doit durer, il faut régler la question du financement le plus rapidement possible. Sans salaires, les grévistes vont très vite se retrouver à court d’argent. Les syndicats officiels créent souvent des fonds de lutte mais ceux-ci sont contrôlés par les responsables syndicaux, et donc pas par les grévistes elleux-mêmes.
Dans les conflits « officiels », le syndicat peut généralement verser de petites indemnités de grève, mais pas dans les conflits « non officiels ».
Une partie du comité de grève devrait se voir confier la responsabilité de collecter des fonds. Tous les fonds doivent être contrôlés par les grévistes elleux-mêmes – s’ils sont contrôlés par la bureaucratie syndicale, des désaccords sur la grève ou la tactique peuvent amener les responsables syndicaux à menacer la grève en retirant les fonds !
Les collectes dans les usines et sur les lieux de travail sont la source habituelle d’argent. Des appels doivent également être lancés aux syndicats et aux organisations communautaires. Les plus grosses collectes sont généralement réalisées lorsqu’un·e gréviste a eu l’occasion de parler directement à d’autres travailleur·euses. Rien n’est plus inspirant pour d’autres groupes de travailleur·euses que d’entendre des personnes en grève.
Chaque centime doit être comptabilisé. Toute distribution des fonds doit être faite d’une manière convenue lors d’une réunion de masse (assemblée générale). Cela pose souvent des problèmes, mais il faut le faire et le montrer. Un·e trésorier·e doit être responsable devant le comité de grève entre les assemblées générales.
Les médias
Il s’agit généralement de bulletins de grévistes, de tracts destinés au grand public, de la traduction de documents et d’articles dans les journaux. Cela devrait inclure la presse de gauche, anarchiste et socialiste, qui sera d’un grand soutien. La communication la plus importante, cependant, est directe – de travailleur·euse à travailleur·euse. Les réunions publiques, y compris les réunions de rue, peuvent également être utilisées pour recueillir des soutiens. Les tracts doivent être imprimés dans toutes les langues pertinentes.
Officielle ou non officielle
Aujourd’hui encore, la plupart des grèves ne sont pas officielles, et il est presque certain que toute grève pour la reconnaissance syndicale sera « non officielle ». En bref, ces termes sont utilisés pour définir les grèves qui sont couvertes par la législation syndicale (qui diffère selon les pays) et celles qui ne le sont pas. Les syndicats peuvent voir leurs actifs mis sous séquestre s’ils soutiennent une grève non couverte par la législation syndicale.
Nous pensons qu’il importe peu qu’une grève soit officielle ou non. Si un groupe de travailleur·euses est contraint de faire grève, il doit être soutenu, point final. Si les responsables syndicaux·ales ne sont pas d’accord, qu’ils/elles aillent se faire voir ailleurs.
Les permanent·es syndicaux·ales
Il y a une très longue histoire de responsables syndicaux qui, au départ, soutiennent une grève, offrent aide et assistance, puis abandonnent les grévistes à leur sort. Il est essentiel que chaque comité de grève prépare ses membres et les grévistes à cette éventualité, financièrement, physiquement et psychologiquement.
Cela signifie que les grévistes doivent s’organiser indépendamment des bureaucrates syndicaux·ales dès le départ et qu’ils/elles doivent chercher à s’autofinancer. Les grévistes doivent pouvoir compter sur de l’aide et de la solidarité en dehors des permanent·es et de la bureaucratie.
Le/la permanent·e à plein temps (généralement nommé par d’autres bureaucrates plutôt qu’élu par les travailleur·euses) est censé représenter les grévistes et être sous leur contrôle. En réalité, c’est rarement le cas. Les décisions du/de la permanent·e seront souvent (généralement ?) celles que le conseiller syndical juge être la meilleure stratégie, ce qui signifie en pratique que tout est possible tant que cela reste dans le cadre des lois anti-grève, ou de leur interprétation de celles-ci.
Les permanent·es syndicaux·ales voudront éviter à tout prix toute menace pour les fonds du syndicat. Si les permanent·es assistent aux réunions de grève, il convient de préciser qu’ils/elles sont rémunéré·es et qu’ils/elles doivent donc faire ce que les membres veulent, et non l’inverse. Attention : les responsables syndicaux·ales se vendent.
Les groupes « révolutionnaires »
S’ils viennent offrir leur soutien, des conditions doivent leur être posées, à eux et à leurs membres. Il faut exiger qu’ils respectent les souhaits des grévistes. Ceux/celles qui respectent les souhaits des grévistes trouvent généralement une meilleure écoute pour leurs idées lors des discussions, en particulier pendant les périodes difficiles de la grève.
Une grève ne doit pas être subordonnée à la volonté de faire passer le potentiel d’un groupe révolutionnaire avant les besoins des grévistes. Les feuilles et le matériel de collecte doivent porter le logo/slogan des grévistes et non celui d’une organisation révolutionnaire. Cela est de toute façon logique – de nombreuses personnes sont réticentes à donner à de tels groupes, et sont plus disposées à donner à un groupe de grévistes.
Action directe/solidarité/piquets de grève volants et lois antisyndicales
Il est essentiel d’installer un piquet de grève quotidien sur le(s) lieu(x) de travail à l’origine de la grève. Cependant, à moins qu’il ne s’agisse d’un très grand lieu de travail (impliquant des centaines de travailleur·euses), très peu de grèves sont gagnées en limitant l’action au(x) lieu(x) de travail au cœur du conflit – les grévistes seront rapidement isolé·es et finalement vaincu·es.
S’il est évident que les patrons ne céderont pas dans les deux semaines qui suivent, il faudra peut-être se préparer à une longue bataille. L’action solidaire est la clé pour gagner une telle lutte. Cela signifie qu’il faut impliquer les travailleur·euses d’autres lieux de travail, généralement avec les mêmes employeurs et parfois les mêmes syndicats. Mais pas toujours, car d’autres travailleur·euses syndiqué·es ou non, souvent avec des employeurs différents, sont utilisés pour produire des biens ou effectuer des travaux afin de compenser la perte de production à la source de la grève.
Le meilleur moyen, et de loin le plus efficace, d’obtenir une action de solidarité est de dresser un piquet de grève sur le lieu de travail des travailleur·euses que vous voulez (et devez) impliquer. Ces piquets sont appelés piquets volants par les syndicalistes militant·es, mais piquets secondaires par les patrons, qui en ont une peur bleue et souhaitent rendre illégale une telle action de solidarité par le biais de lois antisyndicales.
Tou·tes les permanent·es syndicaux·ales, répétons-le, s’alignent sur les patrons et les lois de l’État lorsqu’ils les utilisent ou même les menacent. Dans la plupart des cas, la menace d’action conduira le\la permanent·e à prendre ses distances par rapport aux grévistes qui organisent des piquets de grève volants.
Si ces lois sont menacées ou utilisées, une grève ne peut être gagnée que si les grévistes et leurs partisan·nes sont prêt·es à défier la loi, les patrons qui l’utilisent et les responsables syndicaux qui ne l’enfreignent pas.
Brisez la loi, pas la grève, pas le mouvement des travailleur·euses – pas d’ingérence de l’État dans le fonctionnement démocratique d’un syndicat ou dans les luttes des travailleur·euses.
Si le piquet de grève est si vital, le contrôle des travailleur·euses sur le piquet de grève l’est tout autant. Des délégué·es doivent être élu·es par une assemblée généale pour contrôler la conduite de tou·tes les travailleur·euses et de leurs partisan·nes sur le piquet de grève. Si d’autres travailleur·euses sont amené·es à aider au piquetage, ces personnes doivent être clairement identifiées par le comité de grève sur cette base et soumises au contrôle de ce même comité.
Le comité de grève doit toujours conserver le droit d’expulser du piquet de grève toute personne qui, à son avis, agit de manière contraire aux intérêts des travailleur·euses en grève et compromet le conflit par sa conduite. La consommation d’alcool doit être interdite sur les piquets de grève.
Il convient d’établir un contact avec des avocat·es sympathisant·es lorsqu’une grève et un piquet de grève ont lieu, car une action au cours d’une grève peut entraîner un harcèlement et une arrestation. Le soutien juridique est très important dans de telles circonstances.
Les chômeur·euses et les briseur·euses de grève
Pour se prémunir contre les briseur·euses de grève, il est essentiel de travailler parmi les chômeur·euses – aux côtés des syndicats ou des groupes de demandeur·euses d’emploi – et, si possible, de les organiser, afin d’établir une unité d’action pour lutter contre les menaces de suppression de leurs maigres allocations s’ils/elles n’acceptent pas des emplois de briseur·euses de grève.
Il est essentiel de distribuer des tracts ou de dresser des piquets de grève dans les bureaux des allocations familiales ou des agences pour l’emploi, en particulier lorsque des emplois de grévistes sont annoncés. Les chômeur·euses doivent être encouragé·es à s’impliquer dans la grève. Lors de la grève des travailleur·euses des poubelles de la SITA en 2001, les partisan·nes ont distribué des tracts aux agences pour l’emploi et bloqué les autocars remplis de personnel de remplacement.
Les réunions de discussion
Des réunions de discussion entre travailleur·euses sur les questions relatives à la grève doivent être organisées pendant et après la grève. Cela encouragera la discussion et aidera à développer de nouvelles idées et tactiques à utiliser pendant la grève.
À la fin de la grève, les expériences des travailleur·euses doivent être consignées par écrit. Les succès et les échecs doivent être analysés et peuvent ensuite être utilisés pour de futures grèves. Les grévistes peuvent ne pas gagner leur lutte particulière, mais ils/elles peuvent aider les autres à tirer des leçons de leurs expériences et à gagner la prochaine fois.
L’occupation
Le moyen le plus efficace d’empêcher l’employeur ou l’entreprise de reprendre la production pendant une grève, ou de se débarrasser des locaux et des actifs, est d’occuper l’usine ou le bureau. À moins que le nombre de grévistes ne soit très élevé, il est probable qu’un soutien « extérieur » sera nécessaire, y compris parmi les chômeur·euses. Les détails, les méthodes et la planification ne peuvent être décidés que sur le site et en fonction des circonstances. Les occupations et les work-ins ont constitué une part importante des luttes menées par les syndicalistes en Grande-Bretagne dans les années 60 et 70.
Les groupes de soutien à la grève
Il est important de mettre en place le plus rapidement possible un groupe de soutien à la grève indépendant. L’objectif de ce groupe est de permettre aux grévistes et aux sympathisant·es de décider de la meilleure façon de coordonner le soutien à la grève. Ce groupe doit être responsable devant les grévistes et aucune action qui n’est pas soutenue par les grévistes ne doit être entreprise.
En conclusion
Il ne s’agit là que de quelques (très brèves) suggestions et directives de base pour la conduite (et, espérons-le, le succès) d’un conflit social ou d’une grève.
L’essence même d’une action de grève et de sa réussite est de la maintenir sous le contrôle direct des grévistes elleux-mêmes et indépendamment des bureaucraties syndicales et politiques – grandes ou petites.
Le véritable message est le suivant : pour gagner une grève, les grévistes doivent être prêt·es à se battre contre les permanent·es syndicaux·ales ainsi que contre toutes les autres forces qui s’opposent à elleux. Tou·tes permanent·es syndicaux·ales se contenteront de quelque chose qui est infiniment plus conforme à ce que veulent les patrons que ce pour quoi les travailleur·euses ont lutté ou luttent encore.
Traduit de l’anglais par IWW Bruxelles. Original ici.
Cet article fait partie d’une série : Les bases de l’organisation.