Ce texte constitue la seconde partie de l’article « “Don’t run for executive board”: How to Take Over Your Union from the Bottom Up » publié sur le blog Firewithfire. La première partie que nous avons intitulée « Ne briguez pas la direction syndicale » est disponible ici. Traduit en français par le Réseau Solidaire des Travailleur·ses.
Développer des structures démocratiques
Si l’objectif n’est pas de prendre le contrôle des instances dirigeantes, comment les membres d’un syndicat peuvent-ils et elles transformer leur organisation ? Une stratégie en deux volets est nécessaire :
1. Les membres doivent d’abord s’approprier les structures démocratiques existantes de leur syndicat tout en créant autant de nouvelles structures démocratiques que nécessaire.
2. Parallèlement, ils et elles doivent affaiblir progressivement, et viser l’abolition à terme, des structures verticales du syndicat, comme les postes de direction et les instances exécutives.
Cette stratégie en deux volets revient à reprendre les syndicats par la base, ce qui s’oppose radicalement à la stratégie plus courante consistant à les contrôler par le haut en obtenant des sièges au sein des directions syndicales.
L’héritage des luttes passées, marqué par la combativité, la radicalité et la démocratie, persiste dans la plupart des syndicats, même les plus bureaucratiques et dysfonctionnels. Dans leurs statuts et règlements, la plupart des syndicats semblent bien plus démocratiques qu’ils ne le sont en pratique. Par exemple, la plupart des syndicats accordent toujours aux réunions mensuelles des membres une légitimité supérieure à celle de l’instance exécutive pour la prise de décisions. Ainsi, une décision adoptée à la majorité lors d’une réunion mensuelle des membres ne peut être contredite ou ignorée par les instances exécutives sans que ces dernières ne violent les principes mêmes qui régissent le syndicat. Cependant, dans les faits, ce potentiel démocratique a été presque entièrement étouffé dans la plupart des syndicats traditionnels aujourd’hui, par l’affaiblissement progressif des pratiques démocratiques lors des assemblées et l’augmentation croissante du pouvoir effectif assumé par les instances dirigeantes. Dans mon syndicat, je ne me souviens pas de la dernière fois qu’une proposition importante a été soumise à une assemblée pour être débattue et votée par les membres.
Ce qui rend les réunions de membres si peu démocratiques aujourd’hui, c’est leur caractère technique, inaccessible, peu engageant et souvent déconnecté des préoccupations réelles des travailleur·ses. Dans la plupart des syndicats, ce sont les responsables qui animent officiellement ces réunions, conformément aux statuts, ou qui assument ce rôle par défaut, car ils ou elles maîtrisent les procédures. Comme mentionné plus tôt, les ordres du jour de ces assemblées se résument généralement à des prises de paroles des responsables syndicaux qui expliquent à l’ensemble des participant·e·s de ce qu’ils et elles font, avec très peu d’espace pour la discussion ou pour encourager la participation des membres de base. Dans un syndicat auquel j’ai appartenu, comptant environ 1000 membres, les assemblées mensuelles attiraient en moyenne 20 à 30 personnes, soit à peine 2 à 3 % des membres. De plus, les participant·es n’étaient généralement pas celles et ceux qui souhaitaient transformer significativement le syndicat, mais plutôt des élu·es en poste, quelques un·es de leurs ami·es, et des « nerds syndicaux » (comme moi quand je décidais de perdre une soirée) qui voulaient connaître tous les moindres détails de ce qui se passait.
Cependant, rien n’empêche réellement un groupe de membres de s’approprier les règles des assemblées, d’y assister régulièrement et de modifier les ordres du jour ainsi que le style des réunions pour les rendre pertinents, accessibles et émancipateurs.
Le fait pour les membres de reprendre le contrôle des réunions pourrait constituer une tactique clé dans une stratégie plus large visant à démocratiser radicalement les syndicats. Cela ne peut pas se faire d’un coup, et il faut s’attendre à une résistance ainsi qu’à un manque d’enthousiasme évident de la part des dirigeant·es en place. Mais, avec une approche réfléchie et une vision à long terme, il est possible de constituer progressivement un groupe de membres qui participent régulièrement aux réunions, imposent des sujets clés à l’ordre du jour pour discussion et vote, et donnent aux participant·es le sentiment de leur propre pouvoir. La stratégie pourrait commencer par introduire des points plus modestes lors des réunions, avant de s’attaquer à des questions de plus en plus importantes à mesure que la confiance et le nombre de participant·e·s augmentent.
L’aboutissement d’une telle stratégie pourrait être que les membres dirigent effectivement le syndicat, en s’appuyant sur la légitimé démocratique des réunions, par-dessus la tête des responsables et des instances dirigeantes. Même sans une opposition frontale de ces dernières, une telle approche créerait au minimum des tensions importantes, car elle remet en cause le pouvoir centralisé des responsables syndicaux. La manière d’aborder ces tensions dépend des situations spécifiques, mais je suis généralement partisan de mettre en œuvre cette stratégie tout en minimisant les conflits avec les instances dirigeantes. Lorsque c’est possible, j’encouragerais à intégrer les membres des instances dirigeantes dans d’autres commissions spécialisées afin de maintenir leur implication, renforcer leur confiance dans l’organisation horizontale et tirer parti de leur expertise, tout en réduisant considérablement le pouvoir hiérarchique de leurs fonctions exécutives.
Une stratégie complémentaire pourrait consister à renforcer les réseaux de délégué·es syndicaux dans tout le syndicat, en démocratisant ces fonctions par leur élection directe plutôt que leur nomination, et en créant un conseil des délégué·e·s à l’échelle du syndicat, doté d’un rôle dans la gouvernance.
La différence entre un conseil des délégué·es et une instance dirigeante réside dans le fait que les délégué·es sont élu·es directement par leurs collègues directs et leur rendent des comptes, contrairement aux quelques membres d’une direction syndicale qui ne sont redevables à aucun segment concret de la base. Des structures de délégué·es solides comprennent généralement un·e délégué·e pour 10 à 20 travailleur·ses, ce qui contraste fortement avec les instances exécutives où chaque membre représente proportionnellement des centaines, voire des milliers, d’adhérent·es sans lien direct avec elleux. Dans les syndicats hiérarchisés, la fonction de délégué·e est souvent réduite à des tâches bureaucratiques, comme la gestion des griefs et le traitement administratif. Cependant, dans le cadre d’un effort plus large de transformation syndicale, le rôle de délégué·e pourrait être transformée pour devenir un véritable vecteur d’organisation et de démocratie pour les membres.
Parce que les délégué·e·s travaillent toujours sur leur lieu de travail et entretiennent des relations directes avec leurs collègues, ils et elles constituent une structure plus enracinée qui a le potentiel d’être intégrée dans des efforts syndicaux horizontaux. Tout effort à l’échelle du syndicat pour le transformer pourrait se concentrer sur la prise en main de structures de base comme les postes de délégué·es, tout en transformant cette fonction elle-même en un élément clé du fonctionnement et de la gestion du syndicat, porté par la base.
De nombreux syndicats étatsuniens utilisent des « équipes d’action contractuelle[1] » (CAT) sur le lieu de travail. Il s’agit d’un comité de travailleur·ses chargé de diffuser l’information et d’impliquer leurs collègues dans des actions durant une campagne de négociation d’une convention collective d’entreprise. Comme ces équipes sont elles-mêmes présentes sur le lieu de travail, à l’instar des délégué·es syndicaux, elles constituent une structure plus proche de la base. Toutefois, la plupart des équipes CAT des syndicats traditionnels sont censées être de simples exécutant·es des décisions prises par les instances dirigeantes et l’équipe de négociation. Les responsables syndicaux décident d’une action, puis demandent aux CAT de convaincre leurs collègues de signer des pétitions, de les inviter à des rassemblements ou de les persuader de faire grève. L’information et les décisions circulent du haut vers la base, même si beaucoup de discours sont tenus sur le caractère « drivé par les membres » de ces campagnes. Mais, comme pour le rôle des délégué·es, étant donné que les CAT sont enraciné·es dans les lieux de travail, rien n’empêche les membres de prendre en charge ces équipes et de les gérer selon leurs propres souhaits.
Un groupe de collègues de base avec lequel j’étais a essayé cette approche lors d’une campagne dans un syndicat auquel j’appartenais. L’objectif était de prendre le contrôle des CAT au niveau des bâtiments et d’essayer de mener la campagne de négociation de la manière que nous souhaitions, ce qui était souvent en opposition directe avec les actions de la direction syndicale et de l’équipe de négociation. Plutôt que d’utiliser les CAT comme un simple canal unidirectionnel d’information pour expliquer aux membres ce qui se passait à la table des négociations et quelle action entreprendre ensuite, nous avons utilisé nos équipes de délégué·es pour réellement impliquer les membres sur les propositions de revendications et discuter de l’efficacité des différentes actions. Nous avons ensuite utilisé ces informations pour faire pression sur l’équipe de négociation, en leur adressant des demandes sur l’orientation de la campagne et les priorités à la table des négociations. Cela impliquait souvent de désobéir aux directives des responsables ou de réinterpréter de manière significative la façon de mener les actions syndicales.
Comme pour toutes ces idées visant à reprendre le contrôle des syndicats par la base, ces démarches commencent nécessairement à petite échelle. Nous n’avons revendiqué la direction d’équipes CAT au niveau du bâtiment que dans une petite partie des lieux de travail impliqués dans la campagne sur les conventions collectives. Mais lorsque les membres ont eu la possibilité de s’impliquer dans une campagne de manière démocratique et inclusive, la réponse a été largement positive. L’expérience de prise de contrôle des CAT a été couronnée de succès, attirant beaucoup plus de membres dans les équipes CAT et renforçant leur dimension démocratique.
Au fur et à mesure de la campagne, nous avons exercé de plus en plus d’influence. À un moment clé, nous avons exercé une pression ascendante suffisante pour obliger l’équipe de négociation à franchir l’étape suivante vers la grève, en opposition à une faction importante de la direction qui cherchait ouvertement à empêcher toute possibilité de grève. À d’autres moments, nous avons exercé une pression ascendante sous forme de pétitions signée par les membres, et en diffusant les débats sur les réseaux sociaux pour modifier de manière décisive les priorités des négociations et les structures de la campagne, comme le fonds de grève. Nous ne cherchions pas à faire de chaque problème un affrontement avec la direction syndicale, mais nous avons su choisir nos combats pour confronter la direction tout en menant une campagne de négociation influencée par la base contre notre employeur.
Bien que la plupart des personnes impliquées dans ce projet de CAT autogéré aient été déçues par les résultats de la campagne, nous avons également reconnu que nos efforts avaient amélioré la campagne et nous avaient permis de gagner un peu plus que nous ne l’aurions fait autrement. Plus important encore, nous avons posé les bases sur lesquelles nous pourrons construire à l’avenir. Il n’est pas difficile d’imaginer comment un tel effort, entamé lors d’une campagne revendicative, pourrait être développé au cours de nombreuses campagnes jusqu’à ce que les équipes du CAT soient suffisamment fortes pour mener la campagne entièrement depuis la base.
Abolir les instances dirigeantes
Consacrer autant d’énergie à construire des structures démocratiques par le bas ne sera pas aussi efficace si toutes les structures hiérarchiques du syndicat restent en place indéfiniment. Supprimer les instances dirigeantes est la seule manière de rendre un syndicat véritablement démocratique, tout en libérant son potentiel de combativité et de radicalité souvent latent au sein du monde du travail.
Sur le plan de la procédure, l’abolition des instances dirigeantes est une démarche relativement simple. Les modifications des statuts et du règlement interne d’un syndicat font partie des rares décisions qui ne peuvent généralement pas être prises lors d’une assemblée ordinaire des membres. Au contraire, ces changements doivent souvent répondre à des critères plus stricts en matière de participation et de démocratie, ce qui est loin d’être une mauvaise chose. Ces modifications peuvent être proposées lors d’un congrès annuel, puis soumises à l’ensemble des membres pour un vote par référendum.
Les modifications ne devraient pas seulement abolir formellement les instances dirigeantes, mais aussi veiller à ne pas laisser un vide d’autorité formelle derrière elles. Toute autorité formelle nécessaire, au-delà de celle qui réside déjà dans les assemblées générales des membres, devrait être déléguée à des commissions spécialisées ou à d’autres structures démocratiques, comme des conseils de délégué·es. Toute autorité spécifique détenue par une présidence ou un bureau, comme la gestion des communications syndicales ou des comptes bancaires, devrait être explicitement transférée à des commissions spécialisées nouvellement créés ou à d’autres structures démocratiques.
L’abolition des instances dirigeantes ne devrait être envisagée qu’une fois que l’organisation et le leadership de la base sont déjà en place, prêts à assumer le rôle de gouvernance du syndicat. Des étapes intermédiaires utiles pourraient être mises en œuvre avant d’abolir formellement les instances dirigeantes, comme révoquer des membres individuels qui s’opposent ouvertement aux initiatives de la base ou qui violent sans scrupules les règles pour préserver leur influence. Certaines responsabilités spécifiques, comme la gestion des communications et des budgets, pourraient être transférées aux structures de base avant que les instances dirigeantes ne soient entièrement supprimées.
Intégrez cette double stratégie à votre organisation
Se concentrer uniquement sur les changements structurels ne suffira pas à renforcer le pouvoir de la base dans votre syndicat. Certain·es fervent·es adeptes de l’organisation démocratique, dont une version plus jeune de moi-même, ont parfois tendance à idéaliser ces structures, en essayant de les mettre en place sans bien comprendre ce qu’il faut pour garantir leur succès.
La plupart des syndiqué·es ne se passionnent pas, du moins au départ, pour les détails techniques des statuts du syndicat qui répartissent l’autorité formelle entre tel ou tel organe. Ces questions ne deviennent importantes pour elles et eux que lorsqu’elles prennent un sens concret. Pour leur donner ce sens, il faut organiser des luttes autour de problèmes qui préoccupent les gens sur leur lieu de travail et dans leur secteur. Dans le cadre de combats plus larges pour de meilleurs salaires, de meilleures conditions de travail et d’autres enjeux de justice sociale, vous pouvez mettre en avant la question de la démocratie en montrant qu’elle est essentielle pour renforcer le pouvoir des travailleur·ses et obtenir les revendications souhaitées.
L’instance dirigeante, de par sa nature hiérarchique et les contraintes qu’elle impose, finira inévitablement par faire obstacle à ces efforts. À ce moment-là, vous pourrez aligner la lutte pour des structures démocratiques dans le syndicat avec les luttes contre les employeurs sur des problèmes profondément ressentis. C’est ainsi que les membres se mobiliseront autour de la nécessité d’une démocratie horizontale, en la réclamant autant qu’un salaire décent et la sécurité sur le lieu de travail.
Le leadership horizontal
Pour de nombreux·ses syndicalistes, l’un des attraits de prendre le contrôle de l’instance dirigeante est que c’est un objectif concret et direct, pour lequel il existe un chemin clair et simple. Construire un leadership de haut en bas au sein du syndicat est un processus progressif facilité par les structures préexistantes du syndicat lui-même. Vous réunissez un groupe de personnes désireuses de se présenter aux élections, vous développez un groupe de soutiens, vous annoncez votre candidature, vous réalisez des supports de campagne, vous organisez des événements, vous mobilisez les électeurs·trices, puis vous gagnez l’élection. Voilà ! Vous avez gagné le droit d’exercer une autorité hiérarchique sur les autres membres du syndicat.
Le leadership horizontal est d’une autre nature et doit être construit différemment. Il n’y a pas d’étapes prédéterminées avec des structures déjà en place pour vous guider. Plutôt que de chercher le groupe de personnes à qui confier le pouvoir exécutif et d’essayer de rallier le soutien autour d’elles, le pouvoir horizontal se construit en renforçant la capacité de prise de décision et d’organisation d’une couche de plus en plus importante de membres de base. Bien qu’il n’y ait pas de plan strict pour y parvenir, une série d’étapes plus fluides et qui se chevauchent pour prendre le contrôle d’un syndicat par la base pourrait ressembler à ceci.
Tout d’abord, gagnez la confiance de vos collègues et d’autres militante·s syndicaux en multipliant les conversations individuelles avec elles et eux. Apprendre à vraiment écouter les besoins, les ressentis et les idées des autres tout en partageant également vos propres besoins, ressentis et idées, puis utiliser ces conversations pour finalement construire une analyse et une vision communes, est la compétence la plus importante de l’organisation de base (je ne développe pas cette compétence ici, mais je le fais ailleurs). Utilisez ces entretiens non seulement pour organiser des actions autour des griefs contre l’employeur, mais aussi pour insister sur le fait que le pouvoir réside dans l’activité des membres de base elleux-mêmes et que la puissance du syndicat viendra du moment où il démocratise le pouvoir des membres. Agitez contre l’employeur lorsqu’il agit de manière néfaste, et agitez tout autant contre les structures syndicales et la direction lorsqu’elles font obstacle ou ralentissent les choses.
Deuxièmement, prenez les enjeux et l’esprit de ces échanges en tête-à-tête et développez-les en discussions de groupe dans le cadre de réunions mensuelles sur le lieu de travail et de réunions mensuelles de tous les membres du syndicat. Une discussion ouverte et un débat sont essentiels pour construire une base puissante, capable non seulement de lutter pour de meilleurs salaires et conditions de travail, mais aussi de gouverner le syndicat sans avoir besoin d’une instance dirigeante. Saisissez toutes les occasions possibles pour renforcer l’esprit de discussion démocratique parmi les membres.
Une telle discussion ouverte ne doit pas être abordée de manière passive, où tout est permis sans direction, car c’est souvent ainsi que ces échanges se bloquent ou dégénèrent en luttes de pouvoir contre-productives. Structurellement, trouvez des moyens de maintenir la discussion productive sans laisser les voix les plus fortes étouffer celles des autres, par exemple en limitant le temps et le nombre d’interventions de chaque personne sur une question. Élaborer des propositions qui orientent la discussion sur des sujets pertinents pour les membres afin d’éviter que celle-ci ne parte dans des tangentes sans fin. Trouvez des moyens de vous connecter avec des individus en dehors des espaces de réunion pour amplifier les voix plus discrètes et marginalisées, tout en tempérant celles qui sont les plus bruyantes. L’absence de structure dans les discussions de réunion, comme dans toute structure organisationnelle, n’implique pas automatiquement de la démocratie. Pour intégrer une discussion démocratique et ascendante dans la culture de votre syndicat, vous devez construire les relations et les structures organisationnelles qui la rendent possible.
Troisièmement, à mesure que votre couche d’organisateur·ices de base se développe, cherchez des occasions de mettre en place, partiellement puis totalement, certains des changements structurels évoqués précédemment. À mesure que vous gagnez en influence grâce à des structures de base comme les délégué·es, les CAT (Comités d’Action de Travailleur·euses), et les réunions de membres, trouvez des moyens de modifier formellement ces structures pour répondre aux besoins de l’organisation ascendante. Créez de nouvelles formations syndicales et des espaces sociaux selon les besoins, afin de favoriser la communauté et de diffuser des compétences au sein de cette couche grandissante d’organisateur·ices de base.
Les dirigeants syndicaux en place seront probablement sur la défensive et s’attaqueront à toute tentative d’organisation horizontale. Les militant·es de base devront discerner avec soin quand, où et pourquoi entrer en conflit avec les dirigeant·es syndicaux. Il est important de savoir comment engager un conflit lorsque celui-ci est productif et renforce le pouvoir des membres de la base, et comment éviter le conflit lorsqu’il devient destructeur et dégénère en affrontements entre grandes personnalités. Le pouvoir en place est victorieux lorsqu’il parvient à attirer les militant·es de base dans des conflits basés sur l’égo, car ces affrontements apparaîtront à juste titre comme toxiques et inutiles pour le reste des membres, qui risquent alors de se désengager de la lutte pour un syndicat plus démocratique. Les dirigeant·es actuel·les restent alors au pouvoir. Il convient donc de se poser la question suivante : « Est-ce que ce conflit avec la direction syndicale, de cette manière, fait avancer notre cause sur des enjeux réels et renforce le pouvoir des membres et le syndicalisme démocratique ? » Se lancer dans des combats n’est pas la même chose que de construire du pouvoir, et vous ne voudrez entreprendre les premiers que lorsqu’ils contribuent aux seconds.
Enfin, à mesure que votre pouvoir de base se développe, vous aurez de plus en plus d’opportunités pour affaiblir et même abolir les structures hiérarchiques de votre syndicat, telles que l’instance dirigeante et la présidence. Cela pourrait être l’étape la plus controversée du processus, et je vous conseille de ne pas avancer cette question et de ne pas engager ce combat trop tôt. La majeure partie du travail d’organisation que vous devez réaliser en tant que militantes et militants de base peut être effectuée avant et sans avoir besoin de franchir cette dernière étape, il n’est donc pas nécessaire de se précipiter. Ne franchissez cette étape que lorsque vos forces sont suffisamment solides pour la remporter de manière décisive et prêtes à mettre en place un fonctionnement horizontal pour le syndicat dans son ensemble.
Conclusion
La structure démocratique en elle-même n’est pas une panacée pour résoudre les problèmes du mouvement syndical, mais elle constitue le squelette qui soutient le corps du syndicat. Pour y ajouter de la chair, les syndicats peuvent construire une culture de relations solides et saines au sein de leurs membres, fondées sur l’attention, la confiance et la solidarité. Pour donner de la force aux syndicats démocratiques, ils peuvent être infusés d’une pratique de l’action directe. Pour donner une vision aux syndicats démocratiques, afin d’éviter qu’ils ne soient apaisés par de réformes légères ou des gestes symboliques, les syndicats peuvent centrer l’éducation politique sur des alternatives à un système économique où les travailleur·ses sont réduits à de simples rouages.
Une objection que j’entends souvent de la part de mes camarades de gauche face aux idées sur les structures horizontale est l’incrédulité quant à la capacité des travailleur·ses ordinaires à diriger les syndicats de manière démocratique. Il est beaucoup trop courant et facile de blâmer les travailleur·ses de base pour leur manque de participation et d’activité dans les syndicats, et ce blâme se transforme rapidement en une incrédulité quant à leur capacité – intelligence, expérience, engagement – à rendre possibles des syndicats véritablement dirigés par les travailleur·ses. Lorsque l’on ne croit pas que la majorité des gens soient capables de changer, de grandir, de se transformer elleux-mêmes et leurs conditions, il devient alors possible de les voir comme de simples masses inertes à façonner par des leaders plus éclairé·es. Confier l’autorité au syndicat à une petite clique de syndicalistes dévoué·es semble être la seule solution.
En totale opposition à ce sentiment, j’ai récemment pris la décision de faire confiance aux gens. Je ne dis pas que tous·tes les membres de syndicats, à ce moment précis, sont prêts·es à mener et à gagner les plus grandes batailles dans nos syndicats et face à nos employeurs. Croire en les gens, c’est croire qu’ielles sont capables d’y arriver. En apprenant à connaître mes collègues, j’ai fini par admirer leur parcours, comment ils et elles ont surmonté tant d’obstacles jusqu’à présent, comment leur potentiel de croissance et de transformation semble illimité. Leur parcours me rappelle à quel point j’ai moi-même évolué depuis mon point de départ. Et si nous avions un mouvement syndical conçu pour exploiter nos talents et nos passions collectives au sein de nos syndicats ? Serions-nous à la hauteur de la tâche ?
« Les gens forts n’ont pas besoin de leaders forts. » C’est ce qu’a dit l’organisatrice des droits civiques Ella Baker dans une interview de 1980, en revenant sur la théorie de l’organisation qu’elle a utilisée tout au long de sa vie. Personne n’a eu plus confiance en les gens qu’Ella Baker, et cette croyance a été au cœur du pouvoir de masse immense qu’elle a su insuffler aux organisations populaires de son époque. « Les gens forts n’ont pas besoin de leaders forts. » « Les gens forts n’ont pas besoin de leaders forts. »
[1] « Contract Action Teams »